10 surprises cachées du 2ᵉ arrondissement de Paris : ce que même les propriétaires ignorent
Compact (à peine 1 km²), le 2ᵉ arrondissement concentre une densité unique de passages couverts, de lieux de finance (l’ancienne Bourse), de théâtres des Grands Boulevards, de rues commerçantes historiques autour de Montorgueil et de sites patrimoniaux souvent discrets. Administrativement, le 2ᵉ forme, depuis 2020, avec les 1ᵉʳ, 3ᵉ et 4ᵉ, la mairie de secteur « Paris Centre » — sans que cela n’abolisse ses limites ni ses quatre quartiers officiels : Gaillon, Vivienne, Mail et Bonne-Nouvelle. Voici dix vérités méconnues qui changent le regard qu’on porte sur ce « petit » arrondissement… à la grande histoire.
1) Une tour médiévale (1409–1411) subsiste en plein 2ᵉ : la tour Jean-sans-Peur
À quelques pas de la rue Étienne-Marcel se dresse la tour Jean-sans-Peur, seul vestige majeur de l’ancien hôtel des ducs de Bourgogne. Édifiée entre 1409 et 1411 par Jean Ier de Bourgogne, dit Jean-sans-Peur, cette tour civile de près de 27 mètres (selon les sources et relevés) conserve un spectaculaire escalier à vis décoré de feuillages. Longtemps enclavée dans l’îlot, elle a été dégagée et ouverte au public (visites et expositions). Pourquoi c’est une surprise : on associe rarement le 2ᵉ à l’architecture médiévale. Or cette tour atteste l’implantation, dès la fin du Moyen Âge, de puissants hôtels princiers au nord de la Cité.
2) Le 2ᵉ concentre un ensemble unique de passages couverts (XVIIIᵉ–XIXᵉ)
Si Paris possède une trentaine de passages couverts, le 2ᵉ est l’épicentre de ce réseau historique, né pour protéger piétons et boutiques de la boue et des intempéries avant l’ère haussmannienne.
- Passage des Panoramas (1799) : l’un des plus anciens passages parisiens encore en activité ; aujourd’hui adresse de restaurants, de maisons de philatélie et de petites salles (micro-théâtres).
- Galerie Vivienne (1823) et Galerie Colbert (1826) : décors néo-classiques, mosaïques et verrières, à deux pas de la Bibliothèque nationale (site Richelieu).
- Passage Choiseul (1827–1828) : avec environ 190 m, il est généralement considéré comme le plus long des passages couverts de Paris.
- Passage du Grand-Cerf (1825) : impressionnante charpente métallique et verrière très haute, reliant la rue Saint-Denis à la rue Dussoubs.
- Passage du Caire (1798) : façades à motifs égyptiens (bustes et reliefs) érigées dans l’élan de la campagne d’Égypte. Pourquoi c’est une surprise : on y voit un musée de la ville à ciel (et verre) ouvert : éclairage naturel, vitrines, enseignes d’époque… et commerces bien vivants.
3) La « Bourse de Paris » n’est plus une bourse… mais le palais Brongniart, lui, est toujours là
Au cœur du quartier Vivienne se dresse le palais Brongniart, conçu par Alexandre-Théodore Brongniart (début XIXᵉ siècle, achevé après sa mort par Éloi Labarre). Ce bâtiment à péristyle a abrité les négociations officielles de la Bourse de Paris jusqu’à la fin du XXᵉ siècle (1998). Depuis, l’« ancienne Bourse » a été reconvertie en centre d’événements et de congrès, tout en conservant son architecture monumentale. La topographie environnante garde la mémoire de cette fonction : place de la Bourse, rue Vivienne, rue de la Banque… Pourquoi c’est une surprise : beaucoup pensent que « la Bourse » y siège encore. Or, si le lieu demeure le symbole de la finance historique, son usage a changé.
4) Montorgueil n’est pas qu’une rue « sympa » : c’est un axe marchand pluriséculaire
Autour de la rue Montorgueil (en grande partie dans le 2ᵉ), se déploie un quartier de commerces de bouche dont la tradition remonte à l’époque où Les Halles animaient la rive droite. On y trouve la maison Stohrer (au n° 51, fondée 1730 par Nicolas Stohrer, pâtissier arrivé dans les bagages de Marie Leszczyńska), souvent considérée comme la plus ancienne pâtisserie en activité de Paris, réputée pour son baba au rhum et ses entremets classiques. Pourquoi c’est une surprise : Montorgueil ne doit pas son succès only aux « tendances » récentes : c’est un paysage alimentaire historique, dont la continuité explique la densité d’artisans.
5) Notre-Dame-des-Victoires (Place des Petits-Pères) : une mer d’ex-voto
Édifiée au XVIIᵉ siècle et achevée au XVIIIᵉ, la basilique Notre-Dame-des-Victoires (quartier Gaillon/limite Vivienne) est célèbre pour ses milliers d’ex-voto (plaques, cœurs, inscriptions) couvrant les murs intérieurs, déposés au fil des grâces reçues. Ce sanctuaire, bien que central, reste moins fréquenté que les grandes églises touristiques, ce qui renforce l’impression de découverte lorsqu’on y entre. Pourquoi c’est une surprise : la densité d’ex-voto dans une église du centre d’affaires de Paris étonne — signe d’un patrimoine dévotionnel intact au cœur d’un arrondissement très laïcisé.
6) Une rue record… par sa petitesse : la rue des Degrés
Entre la rue de Cléry et la rue Beauregard, la rue des Degrés est souvent citée comme la plus courte rue de Paris, avec seulement quelques mètres de longueur (≈ 5,75 m). C’est un escalier à ciel ouvert, aux marches comptées, qui relie deux niveaux de voirie hérités du relief ancien. Pourquoi c’est une surprise : ce micro-passage, entièrement fait de marches, n’a rien d’une rue « roulante » : c’est un témoin urbain de l’adaptation de la ville à ses irrégularités topographiques.
7) Richelieu–Louvois : la « bibliothèque-musée » historique de la BnF a retrouvé son lustre
Avant l’ouverture du site François-Mitterrand (13ᵉ), la Bibliothèque nationale s’articulait autour du quadrilatère Richelieu (2ᵉ), qui abrite encore plusieurs départements et institutions patrimoniales (notamment le département des Monnaies, médailles et antiques, le département des Arts du spectacle, la Bibliothèque-musée de l’Opéra et l’INHA). Après de longues campagnes de travaux, la spectaculaire Salle Ovale a rouvert au public (accès libre à la consultation sur place). Juste en face, le square Louvois présente la fontaine Louvois (XIXᵉ) dont les figures symbolisent quatre grands fleuves (Seine, Loire, Garonne, Saône). Pourquoi c’est une surprise : beaucoup ignorent que la BnF ne se résume pas à Tolbiac : au 2ᵉ, on consulte encore manuscrits, estampes, partitions… dans l’écrin Richelieu.
8) Rue Réaumur, un « concours de façades » a propulsé l’architecture moderne (fin XIXᵉ – début XXᵉ)
La rue Réaumur est une vitrine des innovations architecturales de la Belle Époque. Un concours municipal lancé à la fin du XIXᵉ siècle a stimulé la conception d’immeubles-manifestes, mariant ossatures métalliques, baies vitrées généreuses et décors Art nouveau ou néo-classiques revisités. Résultat : un catalogue à ciel ouvert des expérimentations parisiennes en matière de lumière, de structure et de façades commerciales. Pourquoi c’est une surprise : on traverse souvent Réaumur sans lever les yeux. Or chaque tronçon ou presque offre un détail technique (poteaux fonte, bow-windows, vitrines) qui a façonné la modernité des bâtiments de bureaux et d’ateliers.
9) Opéra-Comique (Salle Favart) : des créations majeures du répertoire lyrique… dans le 2ᵉ
Au 2 place Boieldieu, l’Opéra-Comique (dite Salle Favart) est l’une des trois maisons d’opéra nationales françaises (avec l’Opéra de Paris et l’Opéra du Rhin). C’est ici que Georges Bizet créa Carmen (1875) — œuvre devenue universelle, malgré un accueil initial mitigé. Le théâtre a connu plusieurs incendies au XIXᵉ ; la salle actuelle (début XXᵉ) est richement décorée et l’institution poursuit une programmation vivante, mêlant créations et répertoires. Pourquoi c’est une surprise : on associe l’opéra à Garnier/Bastille ; pourtant, l’histoire de Carmen et d’une large part du répertoire français s’est écrite dans le 2ᵉ.
10) Le Sentier : de la « confection » à l’économie créative
Le Sentier (autour des rues d’Aboukir, du Caire, des Petits-Carreaux…) fut le cœur de la confection et du grossiste textile à Paris, avec ses ateliers, show-rooms et magasins. Si cette activité n’a pas disparu, elle a été recomposée : de nombreux immeubles accueillent désormais studios de création, start-ups, agences et espaces de coworking. Cette transition s’est amorcée dès la fin des années 2000-2010, la mixité d’usages devenant la norme (bureaux en étage, commerces en rez-de-chaussée, parfois ateliers). Pourquoi c’est une surprise : le Sentier n’est pas un « musée » de la mode : c’est un territoire économique vivant, où l’ADN textile a facilité l’émergence d’un écosystème créatif et numérique au cœur de Paris.
Bonus (deux pépites à ne pas manquer)
A) Théâtres des Boulevards : Variétés, Gymnase, Porte-Saint-Martin (aux lisières)
Le 2ᵉ borde les Grands Boulevards : plusieurs théâtres historiques (comme le Théâtre des Variétés, fondé en 1807) perpétuent une tradition de spectacle populaire et raffiné. À la limite nord, les deux arcs Porte Saint-Denis (1672) et Porte Saint-Martin (1674) — situés de l’autre côté du boulevard, dans le 10ᵉ — marquent l’ancienne ligne des fortifications : des repères monumentaux à quelques pas des passages couverts du 2ᵉ.
B) Toponymie parlante
Dans le 2ᵉ, la toponymie raconte l’histoire urbaine : rue du Mail (promenade et jeu du mail), rue de la Banque, rue de la Bourse, rue du Sentier, rue de la Lune, rue Poissonnière (ancienne voie d’acheminement du poisson venant du nord). Autant d’indices qui relient fonctions économiques, géographie des métiers et évolutions des circuits d’approvisionnement.
Conseils de flâneur (et de propriétaire)
- Levé de tête rue Réaumur : cherchez les dates et signatures sur les linteaux.
- Passages : traversez Panoramas → Jouffroy → Verdeau (ces deux-là sont dans le 9ᵉ, mais l’enchaînement se fait depuis le 2ᵉ via Panoramas), puis revenez par Vivienne et Colbert pour une boucle « verrières & mosaïques ».
- Richelieu : entrez dans la Salle Ovale (accès libre) et jetez un œil au square Louvois.
- Montorgueil : chez Stohrer, goûtez un baba ou un puits d’amour ; remarquez les enseignes anciennes de la rue.
- Sentier : observez la cohabitation ateliers-bureaux-boutiques : c’est la clé de compréhension du 2ᵉ contemporain.
Le 2ᵉ arrondissement n’est pas seulement la « petite Bourse » ou la rue Montorgueil instagrammable. C’est un cours d’histoire urbaine à ciel ouvert : tour médiévale préservée, passages couverts qui ont inventé la flânerie commerciale moderne, palais Brongniart témoin de la finance parisienne, bibliothèque Richelieu restaurée, Opéra-Comique où est née Carmen, quartier du Sentier passé de la confection à la création. Pour les propriétaires, connaître ces strates — médiévale, pré-haussmannienne, XIXᵉ commerçant, XXᵉ administratif, XXIᵉ créatif —, c’est comprendre le récit qui confère au 2ᵉ sa valeur culturelle (donc, indirectement, patrimoniale). Et pour tous, c’est une invitation à reparcourir l’arrondissement… en poussant les portes, en levant les yeux, et en empruntant ces galeries de verre où se reflète encore l’invention parisienne.